HISTOIRE - L’histoire économique

HISTOIRE - L’histoire économique
HISTOIRE - L’histoire économique

L’histoire économique n’est pas une discipline «neuve»: au XVIe siècle, Guillaume Budé ou Jean Bodin traitaient déjà des monnaies, des prix. Pourtant, c’est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle que la Wirtschaftsgeschichte se constitue en Allemagne un premier empire. L’histoire économique se développe surtout depuis 1930, tout en hésitant entre plusieurs voies.

Cette discipline est liée par définition à deux modes différents d’approche. Le souci de l’économiste est théorique et prospectif; l’histoire ne lui fournit que les données pour éprouver un modèle. Le souci de l’historien est celui des faits; son enquête est rétrospective et se garde de déborder la certitude documentaire; la théorie n’est pour lui qu’un instrument de systématisation. En somme, suivant que le chercheur est économiste ou historien, c’est l’histoire, ou bien la théorie, qui fait figure de «science auxiliaire».

En outre, l’économiste cherche des relations causales au sein de l’économique pur; pour tout facteur «exogène», il renvoie à l’historien classique; l’historien cherche davantage par l’intermédiaire du social les conséquences historiques des faits économiques qu’il établit. Ce sont deux angles différents de prises de vues.

Enfin, l’histoire économique de notre temps a marqué les étapes de la recherche. La crise de 1929 a centré l’attention sur le «cycle», les «crises», la conjoncture. Après 1945, l’intérêt se porte aux structures, au long terme, à la «croissance», au «développement». Dans tous ces domaines, de grandes œuvres existent, et, surtout, des instruments sont forgés.

Élaboration de l’histoire économique

Sans remonter jusqu’à Ibn Khald n (1332-1406), premier historien économiste sociologue, il apparaît que dès la Renaissance l’histoire se dégage de la chronique pour poser des problèmes et examiner des chiffres. Ainsi, Guillaume Budé, étudiant la monnaie romaine dans le De Asse , introduit la notion de pouvoir d’achat, enquête sur le prix du pain et le rendement du blé. Jean Bodin, dans sa Response à M. de Malestroit , établit, par érudition chiffrée, que la hausse des prix du XVIe siècle était due à l’abondance d’argent, donc aux grandes découvertes, non aux dévaluations de la livre. La réédition de la Response , par Henri Hauser, en 1932, relie la moderne «histoire conjoncturelle» à cette vieille origine.

À la fin du XVIIe siècle, William Petty invente «l’arithmétique politique», et Gregory King imagine de mesurer, pour l’Angleterre et la France, ce que nous appelons «produit national». On se sert encore de ses données, mais c’est l’invention du concept qui est importante. Le XVIIIe siècle élargit la voie: Adam Smith définit à son tour les principaux agrégats susceptibles de mesure. Süssmilch, Moheau et Messance fondent la démographie historique , autre domaine essentiel à nos yeux. Voltaire et Condorcet voient dans ces novations la promesse d’une histoire scientifique. En Pologne, au Portugal, en Espagne, les pionniers de l’histoire et de l’économie se distinguent mal. Enfin, le mot apparaît à la fin du XVIIIe siècle: «Nous avons coordonné une histoire économique», écrit le Catalan Antonio de Capmany en tête des Memorias históricas sur la Barcelone médiévale. Et, longtemps, son œuvre n’a pas été dépassée.

Autour de 1850, l’histoire économique resurgit et triomphe en Allemagne. W. Bauer y voit déjà l’esprit de Marx. En fait, c’est celui d’une conjoncture intellectuelle plus large. En 1848, Wilhelm Roscher publie son Précis d’économie politique , conçu selon la méthode historique; en 1848 (année du Manifeste ), Bruno Hildebrand lance sa Nationalökonomie , essentiellement historique, cherchant les «lois du développement économique des nations». En 1853, Knies intervient dans le même sens, et le mot Wirtschaftgeschichte apparaît.

Cette première «école historiste» est relayée, après 1870, par le «jeune historisme» de Gustav Schmoller qui engage le combat ou Methodenstreit contre R. Menger et l’économie abstraite. Il subordonne l’avenir de toute abstraction à «l’emploi de tous les matériaux historiques, descriptifs, statistiques» existants. L’école allemande édifie alors d’imposants instruments (Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik , Handwörterbuch der Staatswissenschaften ). Elle multiplie les Wirtschaftsgeschichten (Inama-Sternegg, Kötzschke, Max Weber), les amples interprétations (Bücher, Sombart, Strieder), les admirables monographies (Le Siècle des Fugger de Richard Ehrenberg, La Ravensburger Handelsgesellschaft de Schulte).

En Angleterre, en France et en Belgique, après 1900, l’exemple allemand inspire J. M. Clapham dans sa lutte contre les «boîtes vides» des théoriciens, H. Sée et H. Hauser dans leur préférence pour les stades anciens du capitalisme. Marx est présent dans La Révolution industrielle de Paul Mantoux, et chez les pionniers russes de l’étude économique du XVIIIe siècle français (Loutchisky, Kovalewski, Afanassiev). Mais déjà ce ne sont plus là des économistes tournés vers l’histoire, mais des historiens défrichant des voies d’analyse du social. Henri Pirenne, pour le Moyen Âge, est le plus haut représentant de cet esprit de synthèse. Des années 1900-1910 aux années 1920-1930, alors que la science économique abandonne l’«historisme», l’exigence économique s’accroît au contraire dans la définition des méthodes de l’historien.

L’histoire économique conjoncturelle

Drames monétaires de 1920 à 1928, drame économique en 1929. Monnaie, prix, cycles, crises dominent la réflexion. Or, toute étude, dans ce domaine, relève de l’historien. L’histoire des prix, déjà glorieuse, de Dupré de Saint-Maur à Tooke et à Wiebe, redevient l’axe des recherches rétrospectives. Le bilan de cette étape, inégale dans ses réussites, mais fondamentale, est positif par la collecte des sources et la conquête d’une technique.

Sources et techniques

Les sources de l’«histoire conjoncturelle» sont faciles à découvrir (sinon toujours à utiliser) pour l’«ère statistique», mais, suivant les pays et les secteurs, celle-ci commence vers 1800, entre 1850 et 1860, ou plus tard encore. La difficulté gît dans le raccordement de séries disparates, chronologiquement et conceptuellement. En revanche, il a été démontré que la reconstitution chiffrée est possible pour l’«ère préstatistique», parfois jusqu’au Moyen Âge, à partir de documents «objectifs» pouvant former des séries continues: registres paroissiaux, mercuriales, taxes fiscales, livres de compte, minutes notariales, etc. On n’est malheureusement pas arrivé, malgré la création d’une Commission internationale, à unifier les règles de publication des séries de prix. Mais les travaux de Usher et Beveridge sur l’Angleterre, Fanfani et Parenti sur l’Italie, Elsas sur l’Allemagne, Labrousse sur la France, Hamilton sur l’Espagne, Hoszowski sur la Pologne et Posthumus sur Amsterdam ont fourni dès avant 1940 des séries fondamentales.

La technique de choix et de traitement de ces matériaux a été mise au point en France par François Simiand, inspiré par la «méthode expérimentale»: pour chaque problème, on mesure la distance entre données désirables et données accessibles; on procède à une «phénoménoscopie» effective, suivie, complète, qui suppose identité de base, ségrégation homogène, revue sélective des données: les séries sont alors des «intégralités homogènes» dont la confrontation par les tests de présence, absence, concomitance, permet d’analyser «le phénomène se produisant».

Pour les prix agricoles, Labrousse a justifié la préférence accordée aux mercuriales sur les livres de compte, aux moyennes cycliques sur les moyennes quinquennales ou décennales, Jean Meuvret la préférence à l’année-récolte sur l’année civile, aux médianes sur les moyennes.

En revanche, on n’a pas à choisir, pour l’observation, entre prix nominaux et prix-argent, entre salaires nominaux et salaires réels: tout dépend du phénomène mis à l’étude.

Problématiques

Le succès des techniques dépend des problématiques. La problématique économique, en histoire des prix, a trop souvent procédé à des simplifications excessives. J. M. Keynes, dans le Treatise on Money , a suggéré une révision de l’histoire par l’observation des flux de métaux monnayés, lançant «les prix au-delà des coûts». J. Hamilton, rapprochant les importations d’or et d’argent et la «révolution» des prix espagnols au XVIe puis au XVIIIe siècle, le «squeeze» entre prix et salaires, a trop généralisé ce schéma. L’optique keynésienne a aussi dominé (plus utilement) son interprétation des inflations artificielles et des endettements d’État. Mais qu’il s’agisse de la hausse «longue» du XVIIIe siècle ou des «cycles Kondratieff» (vingt-cinq ans de hausse, vingt-cinq ans de baisse, approximativement), rien de décisif n’a été fourni sur la nature des mouvements (rythme des prix ou de l’activité économique globale) ni sur leur premier moteur: coût du métal-monnaie, démographie, innovations techniques ou même guerres. Enfin, pour les cycles «courts», on a surtout démontré la différence entre la «crise de l’ancien type», déclenchée par la mauvaise récolte et la hausse brutale des prix du grain, et la crise classique du capitalisme industriel marquée par l’effondrement des prix industriels et des cours de bourse.

La problématique sociologique, avec Simiand, définit la monnaie comme une relation spécifique (attente de l’individu envers la société); elle admet que l’alternance des phases A (facilité) et B (difficultés), d’origine monétaire, complète la floraison d’initiatives (A) par leur sélection (B); elle établit que l’ouvrier lutte pour défendre son salaire nominal, pour ne pas dépasser son effort habituel, pour accroître son salaire nominal, pour diminuer son effort, cet ordre exprimant la primauté du nominal sur le réel. Mais cela vaut-il encore? Il n’y a de vérité qu’historique.

La problématique proprement historique fut posée avec éclat par Labrousse à propos du XVIIIe siècle français. Les prix éclairent les revenus. Les revenus sont spécifiques des classes. Ils traduisent les contradictions des structures, mais aussi celles des mouvements. La hausse longue des prix assure des revenus accrus aux possédants, renforçant la lutte contre les privilèges. Un «intercycle» de bas prix agricoles (1772-1778) mécontente le paysan moyen. Puis, de 1788 à 1789, une crise de rareté fait bondir le prix du grain, mettant en lumière la «loi des écarts sociaux» (le seigle, demandé par les classes pauvres, bondit plus vite); les profits s’accumulent chez les stockeurs; des millions de paysans non vendeurs sont réduits à la mendicité. Ainsi naissent les troubles de 1789, qui à la fois assurent et limitent la victoire politique du tiers état bourgeois. Temps long, temps moyen, temps court, et l’événement lui-même, entrent ainsi, par la statistique rétrospective, dans le cadre de l’explication historique. L’histoire économique rejoint l’histoire totale. C’est sans doute, jusqu’à présent, sa plus grande réussite. Jouissant d’une faveur moins exclusive qu’autour de 1930, l’étude de la «conjoncture» a encore beaucoup à apporter à l’historien.

Histoire économique, croissance et modèles

Depuis 1945, les progrès de l’analyse économique et les thèmes du «développement» ont à la fois inspiré une «histoire des économistes» et une nouvelle initiation des historiens à l’économie.

L’histoire des économistes: deux types d’économétrie rétrospective

La reconstitution dans le temps des valeurs globales fut d’abord tentée par Colin Clark: produits nationaux, globaux et par tête, exprimés en monnaie constante, avec distinction entre trois types d’emploi (agriculture, industrie, services). S. Kuznets a préconisé l’étude, sur longue période, des comptes nationaux exprimant les rapports, dans le produit brut, entre consommation, exportation, importation, épargne, investissement, par secteurs et en fonction de la population. Pour les pays neufs, ces essais portent sur le XIXe siècle. Deane et Cole les font remonter, pour l’Angleterre, au-delà de 1700. Pour la France, l’équipe de J. Marczewski a voulu aussi remonter jusqu’à cette date, profitant des possibilités du calcul pour combler les lacunes documentaires. Mais cette histoire «intégralement quantitative» admet que son domaine s’arrête dès qu’interviennent des «facteurs non économiques». De même, W. W. Rostow, situant le secret du «démarrage» économique dans un seuil du taux d’investissement (de 5 à 10 p. 100), ne propose pour le franchissement de ce seuil que des explications non économiques.

La «new economic history» américaine a, en fait, en Amérique même, de nombreux précurseurs aussi bien en histoire conjoncturelle chiffrée qu’en histoire quantitative globale. Mais depuis 1958 environ, elle remet en cause systématiquement des vérités acceptées soit par l’histoire économique, soit par l’histoire générale des États-Unis, qu’il s’agisse de la «frontière», des guerres d’Indépendance et de Sécession, de la crise de 1929 ou du «New Deal». La méthode, par analyses concrètes (papiers d’entreprise), modèles opérationnels et modèles simulés, vérifie que tel objectif économique, supposé à la base de tel fait politique, n’est pas contredit par le calcul, ou que tel facteur, cru essentiel (chemin de fer), a vraiment commandé la croissance économique. Le succès dépend de la validité des échantillons et de celle des concepts. On ne voit pas si la méthode suppose une logique spontanée de l’économie, une stratégie consciente de ses agents, une cohérence ou une contradiction entre économie et histoire. Cela engage une épistémologie (ou manifeste une idéologie car la «new economic history» semble être issue de l’optimisme des années soixante comme les théories de la stagnation sortirent du pessimisme des années trente). Appliquée au «sous-développement», la méthode des «modèles historiques simulés» de Celso Furtado rend compte des stades successifs de l’économie latino-américaine, mais non du passage d’un statut à l’autre ni du fait même du «sous-développement».

L’économie des historiens: terrains éclairés, conquête à faire

L’historien manquerait à la probité s’il ignorait les procédés des économistes, et à sa vocation s’il s’y enfermait. Depuis 1945, l’histoire économique soucieuse du social a transformé ou précisé nos représentations d’un passé dont il est naturel que l’Europe soit moins détachée que l’Amérique. Structures, conjonctures du Moyen Âge sont aujourd’hui mieux connues par reconstitutions chiffrées (Postan et Titow en Angleterre), par analyses sociales renouvelées (Duby, Vicens Vives), par formalisation du mode de production féodal (essais marxistes de Porchnev et Kula). Les temps modernes sont éclairés dans la grande conjoncture des découvertes qui les inaugurent (Chaunu, Godinho), dans les mouvements longs de leur production et de leur démographie, et dans les crises brutales qui révèlent les contradictions sociales de leurs structures (P. Goubert, E. Le Roy Ladurie). La révolution industrielle anime encore un chantier où rivalisent l’analyse démographique et économique la plus moderne avec les traditions érudites et sociologiques de Mantoux et Marx (Habbakuk, Mathias, Landes, Jones, Hobsbawm, etc.). Malheureusement, malgré de remarquables monographies pour le XIXe siècle (J. Bouvier et B. Gille), l’économie française semble intimider à l’excès les historiens à mesure qu’on se rapproche de notre temps, alors que les économistes, dans ce domaine de l’actualité, ont des préoccupations trop pratiques. L’histoire économique a devant elle un champ grand ouvert.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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